Chèvres laitières cherchent repreneur

© Gabrielle Légeret

Alain Bodet est éleveur et producteur de fromages de chèvres dans un petit village de Touraine. Dans quelques mois, il prend sa retraite et ne trouve pas de repreneur. C’est pourtant un des derniers petits producteurs du nord du département.

Texte et photo Gabrielle Légeret

 

Il est 6 h 30. Le mois de juillet pointe le bout de son nez. Les blés déjà dorés parsemés de quelques touches rouges de coquelicots enrobent la petite ferme de Monsieur Bodet perchée sur les hauteurs de Neuillé-le-Lierre, un petit village de 816 habitants situé à égale distance d’Amboise et de Vouvray. L’air y est chargé de pollen, le ciel immensément bleu écrase le paysage et le baromètre annonce déjà une température à deux chiffres. Au loin, le bêlement des soixante-dix chèvres et de leurs quatre boucs accompagne le réveil de la campagne tourangelle. Alain s’est installé ici il y quarante-sept ans, avec son épouse Maryse, pour devenir éleveur et producteur de fromages de chèvres, me confie-t-il, caressant tendrement l’une de ses plus vieilles chevrettes. À l’horizon, pas un autre bâti n’est visible à l’œil nu. À perte de vue, des champs de maïs et de tournesol. Et au loin, de l’autre côté de la vallée, le clocher dressé de l’église du village voisin. Il y a d’abord une odeur de foin. Le cheptel des petites chèvres s’agite dans la paille fraîche et les jeunes chevreaux sautent d’un bout à l’autre du bâtiment. À cette heure-ci, elles n’ont pas encore pointé leur nez dehors. La salle de traite est accolée à l’étable et Alain vient y verser l’avoine avant de lever la barrière et de faire monter les seize premières chèvres sur le quai de traite. Elles connaissent bien leur travail : elles grimpent les unes après les autres sur le long établi de bois pour s’aligner les unes à côté des autres. Pendant qu’elles engloutissent les grains versés dans leur râtelier, Alain fixe avec délicatesse les quatre tire-laits en plastique aux mamelles. La dizaine de petits chevreaux restant se glisse sous les mères pour tenter d’attraper les mamelles qui n’auraient pas été englobées par le tire-lait. C’est le même manège tous les matins, et tous les soirs, du lundi au dimanche. Printemps, été et automne. Et à l’arrivée de l’hiver, les petites chevrettes se reproduisent.

Faire ses fromages

La traite finie, Maryse, l’épouse d’Alain, s’attèle à faire les fromages. On peut l’entendre verser le lait du jour encore tout chaud dans le bidon à lait contenant celui de la veille. Les laits sont alors mélangés et filtrés avec un tamis en inox, avant qu’elle y ajoute de la présure pour le faire cailler. Sans présure, pas de fromage. Le lait caillé est ensuite mis dans les moules aux formes du Saint-Maur ou du Selles-sur-Cher, puis laissé égoutté et charbonné. Sans ferments. Maryse accomplit ces gestes avec beaucoup de dextérité, prenant toutes les précautions nécessaires au respect des mesures d’hygiène. À leur ferme, on peut acheter du Saint-Maure-de-Touraine pour à peine plus de quatre euros. « La vente directe représente trois quarts de nos ventes et c’est une aubaine pour nous », me confie Maryse. Ce sont leurs derniers fromages : l’année prochaine Alain et Maryse partent à la retraite.

Pas de repreneur

Il est 8 h et la journée ne fait que commencer. Alain enjambe son tracteur rouge Renault 56 avec lequel il part charger le foin de ses prairies pour nourrir ses chèvres. Ils ne savent pas ce que deviendra leur ferme dans les prochains mois. Elle est à vendre depuis quatre ans, et ils n’ont pas trouvé de repreneur. « Après plus de quarante années de travail, c’est dur de se dire que ça va finir comme ça. Ce n’est pas faute d’avoir fait appel à plusieurs organismes pour nous aider. Surtout qu’il y a tout ici : une maison, des bâtiments agricoles, quinze hectares de terres, des prairies, une étable, une chambre froide, une chambre chaude, un laboratoire de transformation. Et les chèvres qui vont avec. » Qu’on se le dise : les petits fromages d’Alain et de Maryse font fureur dans toute la campagne : aussi bien en vente direct à la ferme que dans les supérettes des villages voisins et chez quelques restaurateurs. « On en vit bien parce que c’est nous qui fixons nos prix. En revanche ce sont les charges qui sont très lourdes. On s’en sort moins bien que nos parents. » En route vers l’industrialisation Si Maryse et Alain ne trouvent pas de repreneur, il n’y aura plus, dans le nord du département, de petit producteur de fromage de chèvre qui, comme eux, maîtrise toute la chaîne de production. C’est la voie ouverte à l’industrialisation du fromage puisque ce sont les gros qui rachètent. Et c’est dangereux. Aujourd’hui en France, le taux de remplacement n’est plus que de 71 %. L’impact sur les petites exploitations comme celle d’Alain et Maryse est dramatique, réduisant la part des paysans du pays à peau de chagrin.

 

Contact :

Alain Bodet au 02 42 52 92 88

alain.bodet[@]hotmail.fr

 

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