Ils transforment l’école en café-théâtre

Sandrine Lebrun et Jean-Christophe Parquier
© Matthias Schweisguth

Sandrine et Jean-Christophe ont ouvert leur café-théâtre dans une ancienne école. Familiers du monde du spectacle, ils font venir des talents en devenir. Les spectateurs aiment ce lieu chaleureux et reviennent.

 

Un grand bâtiment de brique XIXe siècle, « école communale de filles » au fronton. Derrière la porte, un café théâtre : à gauche la scène, à droite le bar et la régie, au milieu tables et chaises sous des abat-jours tout ronds. Bienvenue au Préô de Saint-Riquier.

En 2009, Saint Riquier, 1 200 habitants, entre Abbeville et Amiens, construit un nouveau groupe scolaire. L’ancienne école des garçons devient centre social et salle des fêtes. L’école des filles, une remise pour le matériel municipal.

© Matthias Scheisgutt

Sandrine Lebrun et Jean-Christophe Parquier vivaient à Paris. Ils sont arrivés là, un peu par hasard, au tournant de la quarantaine, en quête d’une nouvelle vie. Sandrine dirige alors un centre d’appel téléphonique. Passionnée de théâtre, elle vit avec Jean-Christophe, comédien, au cœur du Sentier. Début 2010, Jean-Christophe et Sandrine ont une idée folle : ouvrir un café-théâtre. À Paris, c’est impossible ; le foncier est hors de prix. « C’était soit renoncer à notre rêve et rester à Paris, soit foncer, résume Sandrine. Nous cherchions dans cette région que nous aimons bien. Nous avions trouvé la gare de Saint-Riquier à vendre, mais 
le maire nous a proposé l’école. » Elle est grande, haute, idéale. Estimée 210 000 €, la ville la cède à 150 000 €. Un prêt familial, un prêt bancaire, deux prêts à taux zéro et la vente de l’appartement parisien couvrent l’achat et les 200 000 € de travaux. « Nous voulions une vraie salle de spectacle, pas une salle des fêtes améliorée. » Avec un architecte et un entrepreneur, ils conçoivent une scène de 7 mètres sur 4 et peaufinent l’acoustique. La grille technique est fixée sur la solide charpente. Ils aménagent leur nouveau chez-soi dans une aile. Les comédiens sont logés dans l’aile opposée. Ici, pas question de toucher à l’aspect extérieur. Hôtel-Dieu, abbatiale et beffroi : le périmètre est classé. Sandrine et Jean-Christophe se souviennent du grand saut, trois mois de chantier intenses et exaltants. « Le week-end, les copains venaient nous aider. Parfois, nous nous demandions si nous n’étions pas fous. » Mais impossible de revenir en arrière, d’autant que les habitants les accueillent à bras ouverts. « Les gens poussaient la porte pour découvrir ce que devenait leur ancienne école », se souvient Sandrine.

Vendredi 21 mars 2014, le rideau se lève sur le premier spectacle. Depuis bientôt quatre ans, les vendredis et samedis, les comédiens soulèvent le public. « Les gens ont envie de rire. Comédies, one man show et même magie ou chansons, on propose toutes les palettes de l’humour. » Ce week-end de novembre, Le Préô accueille les Goguettes, irrésistibles avec ses chansons sur nos politiques. Encore peu connus, Jean-Christophe a su les convaincre. Le secret ? Faire venir des talents aux cachets abordables, variables selon la recette. Le couple déniche les pépites avant les autres. Jeanfi, les Jumeaux, Guillaume Meurice, Guillaume Bats sont passés par Le Préô.

Potages et feuilletés

Vendredi, 18h30. Dans une heure, les portes ouvrent. Sandrine a le stress énergique. « Deux projecteurs ont grillé. Ils n’ont pas pu tout répéter. » Elle surveille le potage et enfourne les feuilletés servis aux clients. Jean-Christophe est parti à Abbeville chercher un des artistes du groupe. Elle, jette un œil en salle, « pas de panique, on va y arriver ».

Toujours comédien, Jean-Christophe voyage. Il embauche alors Denis à la régie. Catherine et Chloé, voisine et étudiante, sont employées chaque week-end pour le service et le rangement. « C’est mieux que 
de travailler au KFC », sourit Chloé. Le Préô affiche complet, 120 spectateurs. Jean-Christophe vérifie le plan de table. « Dans ce milieu, on est débrouillards. On n’a pas les deux pieds dans le même sabot. » La veille, Jean-Christophe jouait à Carcassonne. Levé à 5 heures du matin, il a traversé le pays en camion avec le décor. La semaine prochaine, il joue dans quatre pièces différentes.

19h30 : les artistes abrègent leur répétition. Les clients attendent à la porte. Jean-Christophe a enfilé une chemise et ouvre. Un bon mot à chacun, un grand sourire. La salle se remplit comme les verres. Après deux heures d’applaudissements, le public partage un moment avec les artistes. Rebelote demain soir.

« Des gens se demandent ce que nous faisons en semaine. » Stocks, comptabilité, programmation, promotion, réservations… « On enquille. J’aimais encadrer. Désormais, je connais la solitude de l’entrepreneur », constate Sandrine. Jean-Christophe, cogérant, assure des cours le mercredi pour La compagnie de l’école des filles. « Nous avons monté notre compagnie pour que Le Préô soit aussi un lieu de création. »

Le couple « se discipline » pour « se garder le dimanche ». Quatre ans après, ils se disent qu’ils ont eu raison. « Nous nous sentons de mieux en mieux ici. Paris nous manque de moins en moins. »

Matthias Schweisguth, février 2018