Cohabiter avec le sauvage

Par Bernard Farinelli

Même si nous sommes de plus en plus nombreux à adopter une attitude de laisser-faire au jardin, les préjugés restent tenaces. Il faut expliquer, rester pédagogues même quand les arguments paraissent stupides et inconséquents. La taupinière sur la pelouse, l’arbre trop près, les coquelicots qui essaiment, la souche en plein milieu, et un sommet de savoir-faire : l’arrosage d’herbicide sous le grillage pour éviter la pousse de l’herbe, qui restera jaune tout l’été… Ne parlons pas des insectes, engins militaires de grande dangerosité qui peuvent piquer ou amener des maladies… Ou encore des « nuisibles ». Nous avons tous été témoins de ces propos, et si certaines situations peuvent s’avérer délicates – présence d’une colonie de rats par exemple – le plus souvent, c’est surtout notre regard qui est en cause, construit au cours des siècles sur des discours religieux suprématistes ou sur le cartésianisme qui met l’homme au-dessus de la nature ou encore sur l’obsession hygiéniste, le propre…

Le dernier ouvrage de Vincent Albouy fait le point sur les bienfaits de la cohabitation avec la nature. Le sauvage, n’en déplaise à ceux qui le craignent, est le quotidien des humains, dès lors qu’ils s’arrêtent dans leur course folle, prennent le temps d’écouter, de regarder. La friche, les écarts, les jardins et espaces en libre évolution, tout cela témoigne du vivant et de notre place relative.

À titre personnel, je dois à Vincent Albouy de m’avoir fait comprendre, il y a des années, le rôle des insectes, comme amis du jardin. Mon regard s’est aussitôt enrichi. Ma pratique a changé. Le jardinier (enfin celui que l’on souhaite) est un naturaliste. Pas un guerrier, bombes chimiques à la main contre tout ce qui bouge. Oui, certaines fois, il faut être précautionneux. Faire des pièges à moustiques, repousser les loirs ou lérots hors de la maison par obturation de leurs passages ou par des dispositifs d’ultra-sons, ranger correctement les grains des poules pour éviter l’arrivée des rongeurs. À chacun de voir son seuil de tolérance, d’établir des stratégies… Et chose incompréhensible pour certains, souvent la nature se débrouille par elle-même, trouve des processus internes de régulation.

Cohabiter avec le sauvage, la biodiversité ordinaire chez soi, Vincent Albouy, Éditions de Terran, 2023. 20€.

Bernard Farinelli a publié une quinzaine d’ouvrages sur la campagne et les problématiques environnementales. Derniers titres parus : La révolution de la proximité aux éditions Libre et Solidaire ou Reprendre la main, aux éditions Rustica ou Planter une haie de biodiversité, aux éditions de Terran.
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