Ils obtiennent le droit de vivre dans leur jardin-forêt

 Constance Canivet-Dutour et Jule Butaeye.
Constance Canivet-Dutour et Jule Butaeye en compagnie de leurs enfants.

Après trois années de démarches administratives, Constance et Jule ont obtenu une dérogation préfectorale. Elle leur permet d’habiter sur le terrain où ils portent un projet permacole. Cette décision, qui introduit le mot « permaculture » dans le langage juridique français, ouvre la voie à d’autres projets.

Par Marine Wolf

Il y a trois ans, Constance Canivet-Dutour et Jule Butaeye habitaient une petite maison de ville, dans un ancien quartier ouvrier, tout proche d’une entrée d’agglomération saturée d’enseignes commerciales. Aujourd’hui, ils vivent au milieu des arbres, à deux pas de la mer. « Nous voulions changer de mode de vie, construire un projet en rapport avec nos aspirations écologiques. Pour ce faire, il nous a semblé que la meilleure solution était de collaborer avec une municipalité qui nous donnerait accès à des terrains abordables. Nous en avons contacté plusieurs pour leur proposer notre idée de vitrine de la permaculture, de jardin-forêt productif et pédagogique », racontent-ils.

Bien ficelé, leur projet est accueilli avec bienveillance par plusieurs municipalités. Leur choix s’arrête sur Merville-Franceville-Plage (Calvados). Dans cette commune située entre Cabourg et Ouistreham, Constance et Jule commencent à développer leur projet. Mais ils se heurtent à trois écueils. D’abord, le terrain est non-constructible car en zone agricole. Ensuite, il est soumis à la loi littorale. Enfin, il se trouve à 400 mètres d’un monument historique. « Ça dépassait la simple hiérarchie municipale, on devait convaincre au niveau départemental et même étatique, note Jule. Mais la commune et le site nous plaisaient, ils répondaient à nos impératifs. »

Le couple décide donc de s’attaquer aux différents obstacles. « On a eu affaire à des élus, des architectes, et des administratifs mandatés pour préserver la destination agricole des terres, continue Jule. Leur mission est nécessaire, évidemment, mais ils ont des cases dans lesquelles notre projet ne rentrait pas. » « Et au lieu de prendre trois mois comme tout permis de construire, ça a pris trois ans », résume Constance.

Plan de maison.
Le plan de la maison, parfaitement intégrée dans son environnement.

Une première en France

Durant ces longs mois de démarches administratives, la famille vit sur le terrain, dans une yourte dressée au milieu des bois, sans eau ni électricité. Constance poursuit son travail de consultante en permaculture. Jule celui d’éducateur spécialisé. « Vivre sous les arbres a renforcé notre détermination. En défendant notre dossier à distance, nous aurions probablement fini par baisser les bras », admet Constance.

Sur une parcelle boisée d’environ 7 500 m², ils commencent donc à développer le projet de l’Épi Centre. « Nous sommes partis de ce que le terrain proposait. Ce n’est pas une vraie forêt, mais une pépinière abandonnée depuis trente ans. Il y a plein d’essences atypiques : un arbre de Judée, des fruitiers, des lauriers palme, une petite bambouseraie. »

Aménagé et sauvage à la fois

Tous les sujets sont des départs sur souche, en cépée, ou issus de branches au sol qui ont refait des racines. La forêt est noueuse, bordélique, féerique. « On s’est dit qu’on allait proposer un endroit à la fois très aménagé et sauvage, sur le principe du jardin-forêt. Et surtout, où tout le monde peut venir, les scolaires comme les personnes présentant des handicaps. »

Afin de faire valoir la nécessité de vivre sur l’exploitation, l’écueil le plus ardu du dossier, ils conçoivent le plan de la maison de manière à ce qu’elle intègre l’activité agricole et la transformation des aliments. L’espace cuisine et arrière-cuisine occupe plus de la moitié des 100 m² de l’ensemble.

La dérogation préfectorale qu’ils obtiennent après trois ans de combat et de visites sur site, précise que « l’habitation est indissociable de l’écosystème mis en place ». Et que « la permaculture est une méthode d’agriculture planifiée consistant à concevoir un système agricole productif exploitant au mieux les caractéristiques des écosystèmes naturels ». Faisant entrer le terme permaculture dans le langage juridique, elle constitue une première en France.

La loi est calibrée pour les maisons carrées

« Nous sommes fiers d’avoir obtenu cette avancée. Nous souhaitons que notre histoire soit une ouverture pour d’autres gens et d’autres projets », témoigne Jule. « Le problème c’est que la loi est calibrée pour les maisons carrées, pointe Constance. Lorsqu’on veut vivre dans du rond, dans de la terre, cela pose problème. L’administration considère cela comme inédit alors même qu’il s’agit d’une façon de faire répandue sur la planète depuis des millénaires. »

Ouvrir la voie

Pour eux, la principale difficulté à laquelle font face les habitats légers, telles les yourtes ou les mobil-homes, est de n’être pas taxables au même titre que les habitats conventionnels. « Les maisons en dur sont soumises à des taxes et un ensemble de circuits financiers qui bénéficient à l’État et à la commune. Cela crée des inégalités d’imposition entre les habitants, ce qui n’est jamais bon pour le consensus. »

Malgré ces ­années éprouvantes, tous deux ne regrettent pas leur choix. « Vivre à quatre dans une yourte pendant trois ans nous a fait mûrir. Nous nous sommes adaptés au rythme des saisons, de ­­la luminosité. Et nous avons l’impression que nos enfants y ont gagné de l’épaisseur. »

 

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