Ces campagnes qui accueillent à bras ouverts !

Photo de groupe sur un pont qui enjambe une rivière, avec les enfants de l'école de Saint-Sever-du-Moustier et quelques parents.
A Saint Sever-du-Moustier, la mobilisation des habitants a permis de sauver l’école. © Axel Puig

Changer de vie, quitter la ville, les embouteillages, la pollution, les espaces urbains confinés. La campagne attire de plus en plus et cela tombe bien. Partout en France, des collectivités locales et des groupes de citoyens se mobilisent pour attirer de nouvelles populations. Village vous invite à découvrir ces territoires ruraux où l’on vous attend les bras ouverts.

Par Paul Lecolley, Aurélia Mohier et Axel Puig

Mardi 6 juillet, 16 h 30. Le ciel est de plomb à Saint-Sever-du-Moustier. Difficile de réaliser que débutent aujourd’hui les vacances d’été. L’année scolaire s’achève pourtant bel et bien, mais personne ici ne dira que l’école est finie. À peine sortis, les enfants se retrouvent au bord de la rivière. Un goûter les attend pour fêter l’arrivée d’une famille, celle de Florent, son épouse et ses trois filles.

Depuis deux ans, le village de 200 habitants situé aux confins de l’Aveyron et du Tarn se bat pour que sa classe unique vive malgré des effectifs en déclin. Pour ce faire, un collectif d’habitants s’est rassemblé autour d’un objectif : accueillir de nouvelles familles. « Il y a quatre ans, il y avait 25 élèves, aujourd’hui, on n’en compte plus que treize. Chaque année, il faut qu’on assure une ou deux inscriptions. Le village a envie d’accueillir de nouvelles populations. Quand nous avons organisé une réunion publique pour trouver une solution à cette baisse d’effectifs, une trentaine de personnes s’est présentée », raconte Agathe Valière, l’une des chevilles ouvrières du collectif.

« Beaucoup de gens qui se sont installés ont créé leur activité. Avec trois bouts de ficelle, on arrive à faire des merveilles. »

Halte au fatalisme

Dans cette commune du Massif central, les problématiques d’accueil sont loin d’être étrangères aux habitants dont beaucoup sont arrivés ici à partir de la fin des années 1980, attirés par les chantiers Remparts et le dynamisme culturel porté par l’association Les nouveaux troubadours. Pourtant, lorsque le collectif parle d’accueillir de nouveaux habitants, l’ancienne équipe municipale est sceptique, un brin fataliste. Mais dans le sillage d’Agathe, un petit groupe de parents d’élèves est convaincu d’avoir des arguments à faire valoir.

© Cil Vert

 

« Notre atout, c’est l’isolement ! Il nous oblige à être inventifs, sourit Audrey Bergoud salariée de l’association Les nouveaux troubadours, qui arrive un brin essoufflée après avoir grimpé une ruelle pentue son fils d’un an dans les bras. Par exemple, comme on est loin de toute offre culturelle, nous avons créée un musée, une fanfare, une troupe de théâtre. Il y a aussi l’entraide. Ici, tout paraît possible. Beaucoup de gens qui se sont installés ont créé leur activité. Avec trois bouts de ficelle, on arrive à faire des merveilles. »

Portrait d'Audrey Bergoud avec son jeune fils dans les bras
Audrey Bergoud, salariée de l’association Les nouveaux troubadours et membre active du collectif citoyen qui se bat pour sauver l’école de Saint-Sever-du-Moustier. © Axel Puig

La problématique du foncier

Riche d’une dynamique culturelle et associative, Saint-Sever est pourtant confronté à un obstacle de taille pour accueillir de nouveaux habitants : le foncier. Au village, beaucoup de maisons sont insalubres, trop petites ou en indivision. Le collectif de parents d’élèves décide donc de se lancer dans un programme de recensement des hébergements vacants. Résultat : quatre logements sont proposés sur une page Facebook créée pour l’occasion et dans les petites annonces de Village. « On a rapidement été dépassés par les demandes, se souvient Audrey. Pour une maison, nous en avons eu 80. » C’est ainsi que Florent et sa famille ont débarqué en Aveyron. Et s’ils habitent désormais dans le village voisin où ils ont acheté « une maison de 350 m2 pour 48 000 € », ils ont pu profiter un temps d’une location. « Ici, il y a une vraie communauté, une qualité de vie, du don, de l’échange, de la bienveillance vis à vis des enfants. C’est cela qui a déclenché notre installation », dit Florent .

Pour le village, cette arrivée a permis de compter trois nouveaux enfants scolarisés. Une bouffée d’oxygène malheureusement insuffisante. Le collectif de parents d’élèves va donc reprendre son travail de veille immobilière tandis que la nouvelle équipe municipale s’est lancée dans la construction d’un logement communal prévu pour quatre à cinq personnes.

Le rêve partagé

L’exemple de Saint-Sever-du Moustier illustre les enjeux forts qui gravitent autour de l’accueil de nouveaux habitants. Il témoigne d’un intérêt grandissant pour la campagne, renforcé par les épisodes successifs de confinement. Mais avant que ne débute la crise sanitaire, l’exode urbain était bel et bien en marche. En Occitanie, entre 2008 et 2018, la population rurale a ainsi augmenté de 0,7 %, et cette tendance se retrouve dans des proportions similaires en Bretagne, Auvergne-Rhône-Alpes ou Provence-Alpes-Côte-d’Azur (source Insee).

Depuis la crise du coronavirus, cet « appel du vert », s’il est difficilement quantifiable, se confirme, notamment sur le marcher immobilier. En 2020, malgré la forte baisse des transactions à cause des confinements, les ventes de maisons n’ont reculé que de 6 % contre 22,5 % pour celles des appartements, selon une étude réalisée par Century 21. Dans le même temps, La Fabrique des cités révèle que 56 % des Français aimeraient vivre à la campagne. Dès lors, pour les territoires ruraux, tout l’enjeu est d’attirer ces citadins qui souvent portent leur rêve vers les même régions, proches de la mer ou des grands axes de communication.

L’enjeu est aussi de dépasser les problématiques liées au logement, à l’accompagnement, l’isolement, la mobilité ou l’activité économique, en travaillant de concert entre collectivités locales, acteurs institutionnels et citoyens engagés pour rendre attractifs les territoires.

Une passerelle vers la campagne

Photo de groupe devant le tiers-lieu El Capitan
Une partie de l’équipe d’El Capitain, avec à droite Anne-Laure Romanet et Igor Louboff.

À Athis-Val-de-Rouvre, l’attractivité du territoire tient aussi en grande partie à un petit collectif d’habitants. Ou plutôt à un lieu atypique et innovant qui rassemble ruraux et urbains. Pour le découvrir, direction la Normandie. Au cœur du bocage ornais, le bourg des Tourailles, peuplé d’une cinquantaine d’habitants, est dépourvu de commerces. Pas la moindre trace d’un café ou d’une boulangerie, mais, au bout d’une impasse, un écriteau ­­annonce : « Bienvenue au tiers-lieu El Capitan ».

« El Capitan est un lieu hybride au sein duquel ruraux, néo-ruraux et urbains se rassemblent pour travailler et expérimenter le vivre ensemble », annonce Anne-Laure Romanet. Après avoir visité le tiers-lieu en 2019, la jeune femme a quitté son emploi parisien dans le marketing pour s’installer dans le bocage en mai 2020, à l’issue du premier confinement. « Les valeurs véhiculées au sein de mon ancienne entreprise n’étaient plus en cohérence avec les miennes, j’avais besoin de me retrouver. » En novembre 2020, plusieurs personnes sont venues se confiner directement au sein du tiers-lieu. « Le confinement semble propice à l’installation en campagne. Deux tiers des personnes que nous avons accueillies durant cette période sont restés. Au total huit personnes se sont installées ici à l’issue », explique Anne-Laure.

Fédérer les acteurs locaux

À l’initiative d’El Capitan, Igor Louboff n’avait pas prévu un tel succès. Après avoir travaillé à l’Onu, puis auprès du Ministère des affaires étrangères, ce trentenaire a décidé de changer de vie. « Je souhaitais être au plus près des enjeux territoriaux. Nous devons commencer par travailler à l’échelle du territoire pour espérer initier un changement plus global. » De cette réflexion est née en 2018 le coliving. « L’idée initiale était de concevoir un lieu faisant office de passerelle entre ville et campagne afin de fédérer divers acteurs territoriaux sensibles à ces problématiques », ajoute-t-il.

Quatre personnes ont ensuite contribué à forger le tiers-lieu : Corentin, Aline, Adrien, et Hélène. Aujourd’hui, d’autres membres forment le noyau dur d’El Capitan. Julien, ingénieur informaticien en free lance, conçoit les outils numériques et applications facilitant la gestion du lieu. Anne s’occupe du calendrier et Anne-Laure du cadre collectif et de l’animation. Certains colivers ont également posé leurs valises pour une durée indéfinie. Jean-Édouard vit dans sa camionnette et travaille à l’entretien extérieur et intérieur. Albane effectue son service civique à la Coop des territoires, un laboratoire ornais qui ambitionne de « construire le territoire de demain ».

Résilience et autonomie

Aujourd’hui, le tiers-lieu s’ancre au sein de la démarche Territoires en commun dont l’objectif est de favoriser la compréhension des principaux enjeux et défis au sein du bocage ornais, d’imaginer collectivement l’avenir du territoire pour qu’émergent des projets répondant aux besoins de la population locale. « Dans ce cadre, nous organisons des ateliers collectifs autour de la résilience des territoires, de l’autonomie ou de la coopération, avance Anne-Laure. Nous envisageons par exemple de monter une filière légumière dans le Pays du bocage ornais. Ces réunions informelles entre voisins ont permis de fournir deux collèges ainsi qu’un EHPAD en légumes biologiques locaux », ajoute Igor. En partenariat avec Passerelles Normandie, une association qui vise à rassembler les porteurs de projets et les acteurs du territoire, El Capitan organise aussi des ateliers autour de l’insertion professionnelle et réfléchit à la création de circuits d’accompagnement pour des personnes qui souhaitent s’installer en agriculture.

Créer un territoire commun

« Ce qu’on expérimente ici c’est la création d’un territoire commun. Il faut des lieux pour que les gens se rencontrent. Les personnes qui rejoignent El Capitan sont souvent animées par l’idée de sortir de l’anonymat des grandes villes pour réapprendre à vivre ensemble à partir d’un tout petit territoire, d’un tout petit collectif », relève Anne-Laure. Ce coliving ouvert à tous fonctionne par système de donation. Pour un montant – suggéré – de 21 € par nuit (comprenant chambre et nourriture, en majorité issue de producteurs locaux), chaque résident de passage peut découvrir l’expérience coliving et les paysages bucoliques de la Suisse Normande. Pour, pourquoi pas ensuite, prolonger durablement son séjour à la campagne.

Les territoires en action

Vue sur le village de Jarnious avec son clocher pointu
Jarnioux, l’un des 62 villages d’accueil du Beaujolais vert. © Beaujolais vert

Si les citoyens s’engagent de plus en plus pour rendre leur territoire attractif, les collectivités ne sont évidemment pas en reste. C’est d’ailleurs souvent lorsque les actions des uns rencontrent les programmes initiés par les autres que les résultats sont le plus spectaculaires. Situé aux portes de l’agglomération lyonnaise et tout près de Mâcon ou de Roanne, le Beaujolais vert s’est inscrit dans cette démarche depuis une dizaine d’années. Créé par Édith Tavernier, le programme Beaujolais vers votre avenir, a rencontré un réel engouement dès ses débuts, notamment auprès des élus locaux. « Le dispositif repose sur 62 villages qui ont la tâche d’accueillir comme il se doit les nouveaux arrivants. Des élus et habitants sont présents afin de répondre aux questions des porteurs de projet et les aider dans leurs démarches d’installation », explique Denis Longin chef de projet politique accueil au syndicat mixte du Beaujolais.

Pour attirer des habitants, le Beaujolais présente des arguments forts. Le territoire est composé à 90% d’espaces verts et reste facile d’accès grâce à l’autoroute A6 et au TGV. Le haut-débit y est installé depuis longtemps et la fibre en cours de déploiement. « Notre site Internet et notre page Facebook sont des outils efficaces pour renseigner les porteurs de projet. Notre but est de les accompagner du début à la fin, de l’idée à la réalisation. Nous sommes de vrais supporters de projet », confie l’ancien maire de Ranchal, l’un des villages d’accueil du Beaujolais vert.

Nouvelle vie en Lozère

Paysage de Lozère au soleil couchant. vallée du Lot
Les territoires ruraux ont à offrir leurs paysages (ici la vallée du Lot, en Lozère), leur qualité de vie, mais aussi des opportunités économiques.

Des supporters de projets, la Lozère en compte également. Dans ce département du Massif central qui présente la plus faible densité de population de France (14,8 habitants au km2 en 2018), une multitude d’acteurs se mobilisent depuis une dizaine d’années. Regroupés autour du programme « Lozère nouvelle vie », le Département, la chambre de commerce et d’industrie, l’Agence d’attractivité et la chambre d’agriculture notamment travaillent ensemble pour accompagner au mieux les porteurs de projets souhaitant s’installer sur ce territoire.

« La Lozère affiche un taux de chômage très bas, inférieur à 5 %. Il y a beaucoup d’offres à pourvoir chez nous, notamment des CDI », détaille Guillaume Delorme, directeur de l’attractivité au Département. Des sessions d’accueil sont organisées afin de proposer un accompagnement précis. « Il s’agit d’un pré-accompagnement destiné à des personnes qui ont des idées intéressantes. Notre rôle est de les orienter, de faire maturer leur projet pour qu’il se concrétise ici. Durant ces sessions, nous présentons le territoire et ses filières économiques. Puis, nous proposons des coachings individuels personnalisés. » Nature préservée, grands espaces, jolies maisons en pierre… la Lozère ne manque pas d’atouts. S’ajoutent à cela une localisation idéale à la croisée de cinq grandes régions naturelles et le déploiement de la fibre qui sera disponible partout sur le territoire courant 2022.

Solo, au boulot !

Des télétravailleurs rassemblés autour d'une table.
Depuis plus d’une décennies, le Gers mise sur l’accueil et l’accompagnement des travailleurs solos. © Valérie Servant

La fibre est un argument de poids sur lequel surfe aussi le Gers. Le département d’Occitanie dispose d’un réseau à faire pâlir d’envie bien des métropoles – deux habitants sur trois bénéficient de la fibre et 100 % des Gersois disposent d’un débit d’au moins 8 à 10Mb/s. Et cela tombe bien car il est à la pointe dans l’installation de télétravailleurs, qu’ils soient salariés ou entrepreneurs. Certains se retrouvent à La Dynamo, un tiers-lieu situé à deux pas de l’hippodrome d’Auch. Le bâtiment de 1 000 m2 est le véritable cœur du dispositif Soho Solo Gers.

« Il y a une dizaine d’années, nous avions constaté que beaucoup de personnes passaient leurs vacances dans le Gers. Notre souhait était que ces vacanciers s’installent ici », raconte Audrey Fievet, animatrice du réseau Soho Solo. Au fil des années, le dispositif a étoffé ses arguments, au point de présenter une offre qui allie qualité des réseaux, proximité de l’agglomération toulousaine et de son aéroport international, cadre de vie, gastronomie et surtout structures d’accompagnement économique.

Aider les entrepreneurs

« Notre réseau de tiers-lieu permet l’accueil de ces nouvelles personnes dans les meilleures conditions. La Dynamo, récemment labellisée Fabrique de territoire, dispose de bureaux individuels ou collectifs, de salles de réunion et d’espaces de convivialité. Tout est fait pour que les télétravailleurs et entrepreneurs s’y sentent bien. Nous croyons en la force du collectif », poursuit Audrey Fievet.

Au sein du tiers-lieu auscitain, se trouve également la Coopérative d’Activité et d’Emploi Kanopé. Elle héberge juridiquement des entrepreneurs et les aide à créer leur entreprise par le biais de formations collectives. « Nous en intégrons quarante à cinquante par an, avec une moyenne d’âge de 40 ans. Ils deviennent entrepreneurs salariés et au bout de trois ans, soit ils deviennent associés, soit ils continuent leur projet de façon autonome et individuelle », explique Philippe Le Breton directeur général de Kanopé.

Vive la reprise

Vue sur le village d’Ispagnac, en Lozère
Le village d’Ispagnac, en Lozère. © ELH

À l’autre bout de la région Occitanie, les Cévennes misent sur un autre levier : la reprise d’activités. Sur le site Internet de Relance, en ce jour de juillet, on recense pas moins de 126 annonces d’affaires à reprendre. Il y en a pour tous les goûts : des commerces, des exploitations agricoles, des entreprises artisanales. Toutes ces opportunités se trouvent dans les Cévennes gardoises ou lozériennes. « Le dispositif Relance a été imaginé par Georges Zinsstag, maire de Bonnevaux (Gard), à la fin des années 1990, raconte Corentin Lhuillier, depuis son bureau de Florac. À cette époque, alors que le territoire était confronté à des difficultés structurelles, de la déprise agricole, un vieillissement de sa population, un manque d’axe de communication, le maire recevait des lettres de personnes qui voulaient vivre dans les Cévennes. » L’élu qui est aussi agriculteur et siège à la chambre d’agriculture a alors l’idée de créer un guichet unique et de recenser toutes les offres de reprise du territoire.

374 entreprises transmises

Le succès est tel que des Cévennes gardoises, le dispositif se propage en Lozère avant d’essaimer dernièrement en rejoignant le réseau Occtav qui concerne tous les départements d’Occitanie. « Le but est de mettre en relation les cédants et les repreneurs. Ensuite, nous guidons les porteurs de projets, quitte parfois à les réorienter. Leur idée doit correspondre au projet du territoire. Les Cévennes offrent des grands espaces, de la nature, de la sécurité, mais la densité de population est faible ce qui réduit la rentabilité des entreprises », reprend Corentin Lhuillier.

Depuis 1998, Relance a permis la transmission de 374 entreprises qui, dans 97 % des cas, sont encore en activité aujourd’hui. « Les repreneurs viennent essentiellement des régions proches, des environs d’Avignon ou des Bouches-du-Rhône. Un tiers vient d’une aire urbaine », précise le chargé de mission lozérien. Parmi ces nouveaux installés, la moitié n’avait jamais été chef d’entreprise. Dans les Cévennes, comme dans bien des campagnes françaises, ils ont trouvé le cadre idéal pour créer leur activité et changer de vie.