Dans ce village perché du Beaujolais, le café-restaurant La Cadole est le seul commerce. Tous les midis se pressent ici des artisans, des habitants, des randonneurs et… des enfants ! Car le lieu sert de cantine scolaire à la petite école voisine. Ambiance garantie.
Texte et photos : Stéphane Perraud
« Edmond ! Edmond ! Je peux reprendre du chou-fleur ? C’est trop bon ! » Difficile à croire, mais la question rebondit de table en table. Sur les vingt enfants venus déjeuner ce lundi, la moitié réclame du rab de légumes. « C’est comme ça tous les jours, s’amuse Edmond Valcarcel, le truculent gérant du restaurant La Cadole à Sainte-Paule. Hier, j’ai préparé une petite salade tomates-concombres-feta. Tout est parti. Même les épinards et les brocolis ont du succès. »
À quoi tient ce miracle qui étonne tous les parents ? Sans doute au fait que dans ce village du Beaujolais, les enfants ne vont pas à la cantine, mais… au restaurant ! Faute d’équipement communal dédié, la mairie a en effet signé une convention avec La Cadole pour accueillir les écoliers tous les midis. Ils n’ont que la rue à traverser.
« Aujourd’hui, j’ai mangé pour la première fois du camembert, explique Céleste du haut de ses 6 ans et demi. J’adoooore ! » Nathaël, 8 ans, affirme lui avec fierté qu’il aime « tous les légumes, surtout s’ils sont en gratin… ». Quant à Océane et Sarah, deux copines de 10 et 11 ans, elles ont appris ici à apprécier le poisson. « Le miracle tient en un mot : c’est bon ! explique Karine Bresssolle, l’Atsem (Agent territorial spécialisé des écoles maternelles) qui s’occupe des petits le temps du repas. Edmond fait découvrir aux enfants des plats qu’ils ne mangent pas chez eux, comme le tajine de poulet, la paëlla, les lasagnes de légumes… De mon côté, j’ai mis en place à l’école un programme zéro déchet. Les enfants sont invités à tout goûter. Ils prennent d’abord une petite quantité et ils se resservent s’ils aiment. Ils sont plus curieux qu’on imagine. L’objectif à la fin du repas, c’est que le seau des déchets soit le moins plein possible. » Le jour de notre venue, il était carrément vide ! Les carottes râpées, les aiguillettes de poulet pané, le gratin de chou-fleur et le flanc coco avaient séduit toutes les tablées.
Un restaurant d’utilité publique
« L’éducation au goût commence dès le plus jeune âge. Ensuite, les enfants deviennent prescripteurs. Il n’est pas rare de les voir revenir le soir ou le week-end avec leurs parents », témoigne Edmond Valcarcel. Le chef propose des menus plus travaillés avec beaucoup de produits locaux, mais aussi des soirées pizzas, burgers ou paëlla qui font le plein. Parfois, la grande terrasse devant l’établissement ne suffit pas et il doit dresser des tables sur la place de l’église pour les repas des conscrits – grande tradition beaujolaise – ou le banquet des chasseurs.
Au fil des années, Edmond est devenu une véritable institution dans ce village viticole de 350 habitants éclaté en plusieurs hameaux. Pourtant, lorsqu’il a repris le lieu en 2014, ce n’était pas gagné. Le chiffre d’affaires plafonnait à 40 000 €. Il l’a multiplié par dix en dix ans, fort d’une solide expérience acquise dans plusieurs établissements de la région lyonnaise et en restauration collective. « Son profil nous a tout de suite convaincus », se souvient Jean-Paul Triboulet, premier adjoint au maire.
La commune s’est impliquée dans l’aventure en rachetant le lieu il y a quinze ans (un investissement de 600 000 € avec les travaux de rénovation) pour éviter que des promoteurs ne s’en emparent. Le prix du foncier s’est envolé sur le territoire. Elle l’a mis en gérance moyennant un loyer mensuel de 900 €, logement compris. « Posséder les murs, c’était une première étape. Restait à trouver quelqu’un du métier qui accepte de faire à manger aux enfants. Cela rapporte peu, car les repas sont plafonnés à 5,30 €, avec un euro pris en charge par la municipalité. Mais c’est bon pour la notoriété. Edmond est devenu d’utilité publique ! » Les familles lui commandent des gâteaux d’anniversaire, les jeunes couples le sollicitent pour concocter leur repas de mariage et La Cadole fait même office de petite épicerie informelle (voir ci-contre). Aussi, lorsqu’il a annoncé à 64 ans qu’il souhaitait bientôt prendre sa retraite, ce fut un peu la panique au village. Heureusement, dans la famille Valcarcel, on est restaurateur de père en fils et Kevin, 23 ans, a promis de prendre la suite. Il officie depuis quelques mois aux côtés de son père et des trois salariés du restaurant. La Cadole va pouvoir continuer à nourrir l’école.