Boris Trouplin est musicien. Une fois par an, il part à pied ou à vélo à la découverte de la France rurale. Dans ses bagages, une flûte, une cornemuse et un appareil photo, seul témoin de ses voyages lents et immersifs. Ses images poétiques donnent envie de prendre les chemins de traverse. Rencontre.
Par Stéphane Perraud
Expliquez-nous votre démarche
Je vis à La Ferté-Saint-Aubin, une petite ville à la campagne, aux portes de la Sologne. Je marche tous les jours dans la nature près de chez moi pour me ressourcer. Mais une fois par an, j’ai besoin de m’immerger davantage. Je prends un bagage minimal et je pars à pied ou à vélo découvrir d’autres territoires. Je traverse le paysage lentement. C’est une démarche contemplative. Je prends le temps de regarder la forme des arbres, la courbe d’une rivière, la lumière sur une flaque gelée… La beauté est partout pour peu qu’on prenne le temps de l’observer. Ces périples fonctionnent comme des retraites actives. Ils sont aussi intérieurs.
Quels territoires privilégiez-vous ?
J’aime les paysages où la nature est épargnée. J’apprécie les reliefs doux, en Auvergne par exemple, qui impriment lentement la fatigue. À pied, je parcours 25 à 30 kilomètres par jour. À vélo, une centaine. Dans les Vosges, j’ai vu la fameuse ligne bleue se rapprocher au fil de mes journées. C’était très palpable, ça s’inscrivait à la fois dans ma tête et dans mon corps. Je garde aussi un grand souvenir du GR 20 en Corse, où l’on passe du niveau de la mer à des cols situés à 1 500 mètres d’altitude. Plus plat, j’ai relié le Marais poitevin à l’Ile d’Oléron en deux semaines avec le sentiment d’une vraie traversée. Cet endroit conserve une résonnance particulière en moi.
Pourquoi un bagage minimaliste ?
La légèreté apporte plus de liberté que de contraintes. J’emporte une flûte et une petite cornemuse pour jouer et composer en chemin et un appareil photo pour immortaliser mon voyage. J’ai un peu d’argent pour la nourriture, quelques vêtements, une paire de jumelles, un livre… Inutile non plus de partir avec trois litres d’eau. La France n’est pas un désert. Il y a des sources, des fontaines et des robinets chez les gens.
On ne refuse jamais de l’eau à un marcheur ou à un cycliste. J’emporte un duvet, mais pas de tente. S’il m’arrive de dormir à la belle étoile, je suis le plus souvent hébergé chez l’habitant. Je demande juste qu’on m’ouvre la porte d’une grange pour dormir dans le foin. Ce n’est pas très intrusif.
On vous accueille sans problème ?
Je reçois peu de refus. Les gens sont bienveillants dès que j’explique ma démarche. Voyager à pied engendre une saine curiosité. Personne ne m’accueillerait ainsi si j’arrivais en voiture ! Certains m’invitent à partager leur repas. D’autres me proposent une chambre, une douche ou remplissent mon sac de nourriture. Cet accueil renverse les a priori qu’on peut avoir sur une campagne soit disant fermée. Cela redonne confiance.
Pourquoi n’avez-vous pas de téléphone portable ?
Je ne suis pas opposé aux nouvelles technologies, j’utilise des machines numériques sur scène. Mais quand je pars marcher, je ne veux ni antenne, ni fil à la patte. Je vis l’instant présent avec plus d’intensité. Je ne me coupe pas du monde, je me recentre au contraire sur celui-ci. Après une journée d’effort, je n’ai pas envie d’être sollicité par la sonnerie d’un téléphone. Je me glisse dans le lit d’une rivière pour me rafraîchir, j’écoute les oiseaux. Je recherche ces bonheurs simples qu’on a tendance à oublier.
Parlez-nous de vos photos, soulignées par des titres étonnants…
Pour moi, un paysage est d’abord constitué de matière – l’eau, la terre, la roche, le végétal – et de matériaux de construction apportés par l’homme. Je compose avec ça. J’aime les détails. Les titres ajoutent de la poésie ou de l’humour aux clichés. Pour La voix du milieu (P.11 en haut à droite) prise en Auvergne, je me suis retrouvé face à une symétrie des voies de circulation. D’un côté la route, de l’autre les rails. Et au milieu une forêt, tentatrice. Dans Vautour fossile (P.11 en haut à gauche), je vois un oiseau sculpté par les éléments dans un chêne des Gorges du Tarn. Le titre Bulles à facettes ajoute lui de la vie à ce gros plan d’une rivière des Ardennes en hiver (ci-dessus).
Quel regard portez vous sur la campagne ?
Quand je fais du bal ou des concerts, je suis en lien avec la campagne active. Je sens beaucoup d’énergie dans le monde rural. Mais en voyage, je m’attache davantage à la nature. J’aime contempler les territoires préservés, mais je remarque aussi les décharges sauvages, la multiplication des antennes relais, toutes les infrastructures humaines. C’est une pollution visuelle et électromagnétique à laquelle je suis sensible. Ceci étant, la campagne reste un lieu de ressourcement et d’inspiration permanente. Elle est vitale pour moi.
Le site de Boris http://boristrouplin.weebly.com/
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