Depuis 2015, un collectif qui ne cesse de grandir construit pas à pas ce qu’il nomme « un écosystème pour le XXIe siècle ». Expérimental, le projet Tera prend de l’ampleur avec la construction, ex nihilo, de son premier quartier rural en transition. Une sorte de village du futur, bâti dans le respect des hommes et de la nature.
Texte et photos : Axel Puig
Pour l’heure, ce n’est qu’un terrain vierge au bord du Lot, un vaste champ à deux pas d’un moulin médiéval classé Monument historique. Difficile d’imaginer qu’ici, sur la commune de Trentels, dans le Lot-et-Garonne, se dressera dans trois ans un petit village expérimental, avec des maisons écologiques, un centre de formation à l’écoconstruction, des habitats légers pour les stagiaires ou les touristes de passage, un pôle alimentaire avec son atelier de transformation et son site de compostage. Après une décennie de gestation, le premier quartier en transition imaginé par l’association Tera s’apprête pourtant à voir le jour, dans le hameau dit de Lustrac.
Entrer en transition
L’aventure Tera (pour Tous ensemble pour un revenu d’autonomie) a débuté dans les années 2010, dans le sillage de Frédéric Bosqué. Entrepreneur de l’Économie sociale et solidaire (ESS), fondateur de la monnaie locale toulousaine et initiateur du Mouvement français pour un revenu de base, le quinquagénaire décide alors de réaliser un tour de France à vélo. Au fil des kilomètres, il rencontre des acteurs de la transition, des paysans, des fondateurs d’écolieux, des bâtisseurs écologiques. De ce voyage, Frédéric ressort transformé et révolté par un constat : les gens qui vivent en prenant soin des communs de la planète peinent à joindre les deux bouts. Qui plus est, par manque de temps et d’argent, ils sont souvent isolés. De là, naît l’idée de créer un écosystème coopératif qui rassemblerait des acteurs de la transition écologique et sociale. « Nous nous sommes dits que si, à la cinquantaine, nous n’étions pas capables de produire ce que nous mangeons, de potabiliser l’eau que l’on boit, de bâtir les maisons que l’on habite, nous aurions raté notre vie », raconte Frédéric, l’œil malicieux, faisant référence à ce publicitaire pour qui la réussite se mesure à la montre que l’on porte au poignet.
Petit à petit, le projet Tera s’affine. Son objectif est « de relocaliser 85 % de la production vitale aux habitants d’un territoire », tandis que l’écosystème coopératif territorial se définit comme « un ensemble de personnes morales et physiques qui coopèrent dans le but de revitaliser une zone rurale, en respectant les hommes et la nature ». Pour créer cet écosystème, les Terians s’appuient sur cinq piliers. Il y a donc la relocalisation de la production, mais aussi la création d’un réseau de distribution, l’utilisation d’une monnaie locale (NDLR : l’Abeille dont la masse monétaire s’élève aujourd’hui à 133 000 €), une gouvernance ouverte vers l’extérieur et un revenu d’autonomie. « À terme, la richesse que nous produisons doit permettre à chacun d’obtenir une rémunération décente et soutenable. Beaucoup de projets tiennent grâce à une force bénévole importante. Nous, nous voulons créer un vrai modèle économique », explique Marie-Hélène Muller, ancienne chercheuse à l’Inrae, aujourd’hui présidente de la Scic (Société coopérative d’intérêt collectif) qui porte le projet de quartier rural en transition de Lustrac.
Une ferme, puis une épicerie
Depuis 2015, le projet Tera s’est enraciné dans le Lot-et-Garonne autour de trois lieux. Le premier est une ferme permacole de 12 hectares. On y trouve une forêt jardin, une serre, un poulailler, quelques brebis, des plantes aromatiques, un atelier menuiserie, une boulange à reprendre et une grande maison qui accueille tous ceux qui veulent entrer dans l’écosystème. À quelques kilomètres de là, dans le village perché de Tournon-d’Agenais, l’association Tera a installé son siège administratif et son épicerie, ouverte en 2021. « C’est la vitrine du projet, un moyen de nous ouvrir vers l’extérieur », explique Pierre qui a rejoint Tera il y a deux ans, séduit par « son approche systémique et respectueuse du vivant ». À l’épicerie, l’immense majorité des aliments sont bio et produits dans un rayon de 30 km autour de Tournon. 50 % des transactions sont réalisées en monnaie locale. Seul bémol, le commerce est principalement fréquenté par des proches de Tera. « S’intégrer prend du temps », confesse Pierre.
La rentabilité est aussi écologique et sociale
Mais le lieu où se matérialisent toutes les idées de l’écosystème Tera est sans nul doute le quartier en transition de Lustrac. « C’est la mairie de Trintels qui nous a proposé ce terrain. Nous l’avons acheté en mars 2020. Fin 2021, nous avons créé une Scic pour porter le projet. Le statut coopératif permet de rassembler des citoyens, des collectivités et des acteurs privés », détaille Marie-Hélène Muller. La Scic compte soixante sociétaires : des entreprises, des sympathisants, de futurs habitants, des investisseurs qui veulent soutenir le programme et la commune de Trintels qui est entrée au capital à hauteur de 44 000 €. « La mairie est très impliquée dans le projet. Il y aura un jardin collectif ouvert aux habitants, des ateliers pour les écoliers, pourquoi pas un tiers-lieu intergénérationnel », reprend Marie-Hélène Muller. Mais avant cela, la construction du premier quartier rural en transition débutera par l’édification d’un centre de formation à l’écoconstruction. Les stagiaires accueillis bâtiront une quinzaine de maisons autonomes où logeront une trentaine de résidents permanents. Viendront ensuite une microferme bio, un parking solaire pour alimenter le village, une maison de la transition, des habitats légers de loisirs… D’ampleur, le projet est évalué à 9 millions d’euros, le chiffre d’affaires annuel espéré de 2 millions. Pour le financer, Tera a obtenu une aide de 700 000 € de la Fondation de France et une subvention de la région Aquitaine. Mais, expérimental jusqu’au bout, le collectif a également cherché de nouvelles voies de financement. En émettant des titres participatifs bloqués pendant sept ans, à 2 % d’intérêt, il a déjà levé 1,3 million d’euros. « Il y a un vrai problème de modèle économique. Financer un écosystème territorial qui n’a aucune rentabilité financière mais une forte rentabilité écologique et sociale, n’intéresse pas le marché », avance Frédéric Bosqué qui défend le concept de « capitaux patients à intérêts modérés » et celui d’entreprise à but communal. En attendant, l’ancien entrepreneur de l’ESS a déjà réussi une partie de son pari. Depuis 2015, dans le sillage de Tera, une centaine de personnes s’est installée autour de Tournon-d’Agenais. Ces Terians se sont engagés à s’inscrire sur les listes électorales, à utiliser la monnaie citoyenne locale et à investir 15 % de leur épargne sur le territoire qu’ils contribuent à revitaliser.