Dans la Drôme, le combat de tout un village contre un projet écocide

Pendant un an et demi, le réalisateur Mickaël Damperon a suivi la lutte des habitants de Saint-Nazaire-en-Royans (Drôme) contre un projet de carrière. Des cailloux dans la chaussure a raflé tous les prix, dont le prix Village, lors de Caméras des champs, le festival international du film documentaire sur la ruralité. Entretien.

Propos recueillis par Bernard Farinelli

 

Mickaël Damperon, qu’est-ce qui vous a conduit aux portes du Vercors ?
J’étais venu m’installer auparavant dans le coin pour des raisons personnelles. J’habite à quatre kilomètres du village et je partageais un bureau à quelques mètres de la mairie.

Comment et pourquoi l’idée d’un documentaire s’est imposée à vous ?
L’idée est venue en faisant. J’ai vu qu’il y avait une réunion, juste à côté de mon bureau à propos d’un projet de carrière. J’ai pris la caméra et je me suis dit qu’au pire ce serait une archive et qu’au mieux, si c’était intéressant, je verrais par la suite. Les thèmes abordés, que je partageais déjà dans mes réflexions, m’ont aussitôt interpellé. La privatisation du bien commun, le problème des ressources à préserver, l’opacité de l’enquête publique et les pressions que l’on devine. Ces questions dépassaient largement le territoire de cette réunion et de la carrière. J’ai décidé d’aller plus loin en rencontrant les opposants.

Qu’est-ce qui vous le plus marqué durant les mois de tournage ?
Le tournage a duré près d’un an et demi. Au début, j’avais en face de moi des gens qui n’étaient ni des spécialistes ni des militants, et qui deviennent des personnes sur lesquelles il faut compter. J’ai vu naître une intelligence collective et j’ai pu la filmer. Ils venaient de milieux sociaux différents et avaient des intérêts personnels divergents, mais ils ont enjambé tout ça. Ils ont été capables de se mobiliser sur des aspects difficiles comme les questions juridiques, de compléter des études sur l’eau ou la biodiversité. Cela me frappe encore. Une expertise citoyenne se fabriquait. Ils devenaient experts – voire plus que certaines personnes qui prétendent l’être – et étaient capables d’adapter leur stratégie, de médiatiser leur lutte.

« J’ai vu naître une intelligence collective »

Considérez-vous le documentaire comme une arme pédagogique, militante ?
Je suis documentariste de métier. Oui, il y a un aspect pédagogique. Plus de 2 000 enquêtes publiques sont menées chaque année. Il faut lire entre les lignes ce qui est écrit. Le dossier de la carrière fait 800 pages, sans compter les annexes ! Pour moi, le film que je réalise relève de l’éducation populaire. Alors de ce fait, oui il y a du militantisme. Mais, et j’y tiens, j’y amène du cinéma. Je travaille le son, la spatialisation… Et puis vous avez remarqué, je laisse une belle part à la nature. Pour que les gens aient conscience des risques de sa destruction. D’ailleurs le film a mis à jour la présence d’espèces que l’on ne soupçonnait pas comme le grand-duc ou la genette.

Quelles ont été les réactions durant les projections ?
D’abord, soulignons le contexte favorable. Je suis le plus souvent invité par des collectifs qui sont eux-mêmes en lutte contre des projets. Ceux qui assistent aux projections sont en quête d’éléments qui puissent les aider, d’une démarche, d’aspects techniques. Cela leur donne envie de s’engager, de dépasser leurs appréhensions, de prendre eux-aussi les questions à bras-le-corps.

Aujourd’hui, où en est le dossier ?
À ce jour, il n’a pas bougé. Il faut un délai important pour que le tribunal administratif instruise un dossier de cette envergure. Mais cela devrait être le cas bientôt. Et il y a la question des neuf millions d’euros demandés par le carrier. Le chiffre correspond à la perte d’exploitation qu’il estime sur trente ans… La municipalité ne s’était pas spécifiquement engagée sur la mise en place d’une participation citoyenne. Son objectif était de combattre la carrière. Mais depuis, elle ne décide plus toute seule des projets qui engagent l’avenir du village.

Une conclusion ?
Pour les gens qui se sont battus et pour moi, c’était un pari. Ce que nous avons appris ? Ne pas croire que l’on n’est pas capable de faire face. Aller contre une idée qui semble perdue d’avance. Croire en ses valeurs, en ses idées, parce que, malgré le système, cela peut fonctionner.

Un projet en cours ?
Oui, j’y travaillais déjà avant. Rien à voir avec Les cailloux. C’est un sujet de réflexion sur l’approche de la mort qui se passe au Cambodge. Une approche vraiment différente de la nôtre.

 

L’apprentissage de la lutte

Aux portes du Vercors, le village de Saint-Nazaire-en-Royans, dans la Drôme, se lève contre un projet de carrière qui détruirait le mont Vanille. Le projet, gigantesque, est un contresens écologique, économique, paysager. Une lutte citoyenne s’organise alors, mobilisant une majorité de la population dont certains habitants qui s’engagent pour la première fois. L’association Protégeons le mont Vanille est créée. Elle reproche au maire en place son attitude face au projet. Dans son sillage, une liste d’opposition remporte les élections municipales et peu à peu construit sa riposte : nouvelles études pour remplacer celles qui ont été bâclées, manifestations festives, apprentissage d’une véritable citoyenneté… Le 24 janvier 2021, le Préfet retoque le projet. Mais le carrier attaque aussitôt le maire et l’État, et demande un peu plus de neuf millions d’euros de dommages et intérêts.

Combat écologique, lutte sociale

Réalisateur et caméraman, Mickaël Damperon s’intéresse particulièrement aux questions sociales et au vivre ensemble. Avant Des cailloux dans la chaussure, il a notamment réalisé Des couturières sur le fil, un documentaire qui raconte le combat, dans le pays Choletais, d’ouvrières du textile pour sauver leurs emplois.