« J’ai toujours été un étranger ! »

Après une carrière à l’international, Patrick Jagou s’est installé dans un village savoyard pour changer de vie. Ici, l’ancien ingénieur est devenu un Monchû, terme qui désigne « celui qui n’est pas du pays ». Dans un livre truculent, il raconte son parcours d’installation à la montagne.

Propos recueillis par Stéphane Perraud

D’où êtes-vous, Patrick Jagou ?

Je suis né en Gironde avec un nom breton. J’ai grandi au Pays basque, j’ai travaillé en région parisienne pour des sociétés américaines qui m’ont fait voyager dans le monde entier et j’ai vécu six ans à Taïwan pour suivre ma femme. Partout où je vivais, je me suis toujours senti un étranger. Il y a vingt ans, j’ai abandonné mon métier qui était une prison dorée et je me suis installé dans un petit village de Savoie* avec mon épouse et ma fille. Je ne serai jamais un Savoyard vu que je n’ai pas trois générations au cimetière, mais c’est là que je me sens chez moi. J’aime ce territoire et les gens qui l’habitent. J’ai réussi à trouver ma place. Ce livre, Le Monchû, raconte mon parcours. C’est aussi un guide de ce qu’il faut faire – et surtout ne pas faire – pour être accepté dans un territoire rural.

Que signifie ce terme de Monchû ?

En patois savoyard, cela veut dire « Monsieur ». C’est péjoratif, car on ne se donne pas trop du « monsieur » entre montagnards. Par extension, cela signifie « l’étranger », celui qui n’est pas du pays, qui ne connaît pas les us et coutumes et qui est forcément maladroit. Lorsque je suis arrivé en 2007, j’ai commis à peu près toutes les erreurs que peut faire un Monchû !

Quelles sont-elles ?

J’ai commencé par acheter une maison à un prix prohibitif. Je m’en suis rendu compte plus tard. Mais j’ai eu un coup de cœur pour cette vieille ferme sur laquelle je voulais vivre en autonomie. La suite m’a montré que ce n’était pas si simple… La première année, j’ai oublié de réserver du bois. À l’automne, j’ai eu toutes les peines du monde à en trouver. Et on m’a refourgué du bois vert ! Impossible de me chauffer avec. J’ai aussi découvert ce qu’était la neige, la vraie, bien épaisse. Mon déneigeur électrique s’est avéré un gadget inutile. Heureusement, un voisin est venu m’aider avec sa pelle-luge manuelle. Ici, tout le monde en a une ! Au printemps, la végétation a poussé de façon fulgurante dans mon pré. J’ai acheté des outils, là encore inutiles, avant de réaliser que les Savoyards font tondre leur herbe par des moutons. Je m’en suis alors procuré, tout en ignorant les formalités administratives, les frais vétérinaires, la nécessité de trouver du foin pour l’hiver… Quand deux d’entre eux sont morts, j’ai renoncé à mes tondeuses sur pattes. Je sous-traite désormais le travail à la Cuma locale (Coopérative d’utilisation des matériels agricoles) qui dispose d’un gros engin sur chenillettes.

Qu’avez-vous appris de ces erreurs ?

L’humilité et le renoncement, mais aussi la confiance en autrui. Au départ, les voisins vous regardent faire vos bêtises en rigolant. Mais quand ils voient que vous êtes dans l’embarras, ils vous aident. Le coup de main est important à la montagne. Il va de soi qu’il faut rendre la pareille en fonction de ses compétences. J’ai toujours un voisin à covoiturer ou un PC à débloquer dans le village.

Quels conseils donneriez-vous aux futurs Monchûs, de Savoie ou d’ailleurs ?

Surtout ne pas arriver en terrain conquis. Observer, s’intéresser, parler aux anciens, qui donnent souvent de précieux conseils et vous initient aux coutumes locales. En Savoie par exemple, les voisins passent volontiers dire bonjour à l’improviste. Les saluer ne suffit pas. Il faut abandonner ce qu’on fait et discuter, voire carrément les inviter à déjeuner ! On m’a reproché de ne pas passer voir les habitants. Pour moi, ce n’était pas naturel, j’avais peur de déranger. Eux l’interprétait comme un manque d’intérêt.

Quelles sont les clés d’une intégration réussie ?

C’est toujours plus facile si vous avez des enfants à l’école et si vous exercez un métier qui apporte un plus à la population. Si vous êtes infirmière ou plombier, vous serez vite sollicité et apprécié. Ce n’était pas mon cas. Mais en tant qu’ancien ingénieur commercial, j’ai aidé de jeunes entrepreneurs à rédiger leur business plan. J’ai aussi écrit des articles pour le magazine intercommunal et plusieurs biographies de personnalités locales que j’ai même publiées en créant ma propre maison d’édition ! Là, j’ai commencé à apporter une valeur ajoutée. J’ai aussi animé une émission sur une radio locale. Je pense avoir interviewé tous les auteurs du territoire. Globalement, c’est bien de donner de son temps à une association, d’assister aux réunions publiques de la mairie, de s’investir dans l’organisation de fêtes locales, de fréquenter la paroisse…

Vous arrive-t-il de traiter les visiteurs de Monchûs à votre tour ?

Bien sûr ! Surtout les Parisiens qui débarquent pour skier et se croient tout permis. Je me moque d’eux, mais ils restent importants pour le territoire. Le tourisme représente 50 % du PIB de la Savoie. En hiver, beaucoup d’agriculteurs font fonctionner les remontées mécaniques ou donnent des cours de ski. Et je n’oublie pas que ce sont souvent les visiteurs de passage qui achètent mon livre en souvenir de leur séjour. C’est mieux qu’une marmotte en peluche !

En quoi la montagne vous a-t-elle transformé ?

Au départ, j’étais un amoureux du ski qui consommait la montagne pendant ses vacances. Désormais, je ne vis plus la montagne rêvée des touristes, mais la montagne ordinaire. Celle où les cols sont coupés par les coulées de boue, celle où la neige fait tomber les fils électriques, celle du désert médical… J’aime toujours autant skier et je m’offre encore des « tours de manège » sur les remontées mécaniques. Mais je pratique aussi le ski de randonnée. Je monte à pied pendant des heures pour m’offrir une seule descente en pleine nature. Je suis devenu contemplatif. Je prends chaque jour une photo depuis chez moi pour voir le paysage évoluer. Avec le réchauffement climatique, la montagne change très vite. Un jour, les stations de ski fermeront. Il faudra s’adapter. Certains pluriactifs anticipent. Ils délaissent les métiers du tourisme pour celui d’agriculteur ou d’artisan. J’ai pris ce même virage il y a vingt ans en changeant de vie. J’ai arrêté les grands voyages, je porte les mêmes vêtements, je consomme local, j’ai des loisirs de proximité, j’écris de la poésie… C’est une forme de décroissance choisie qui permet de mieux s’ancrer dans un territoire.

 

En savoir plus Le Monchû, Patrick Jagou, Éd. Les Passionnés de bouquins, 2023, 348 p., 19 €. Facebook : https://www.facebook.com/patrick.jagou/