En Bretagne, Ivo, Aisling et Alice ont créé un verger agro-forestier où les petits fruits, plus ou moins rares, sont rois.
Par Jean-Pierre Chafes
Dans le petit bois derrière chez Ivo et Aisling, devinez ce qu’il y a ? « L’y a un verger ! » Mais pas n’importe quel verger. Un verger agro-forestier où le couple, aidé par son associée Alice Renédo, a planté pas moins de 26 espèces et 66 variétés de petits fruits : de la mûre, présente en grand nombre de façon naturelle sur le site (d’où le nom de Verger… de la Ronce) aux confidentielles camérises, caseilles et autres baies de goji ou goumi du Japon, en passant par la framboise, la grenade ou le cassis.
« Cultiver des fruits rares et des baies plutôt que des gros fruits s’est imposé à nous. D’abord parce que la surface dont nous disposons, 1,4 hectare, n’est pas très importante et rendait le marché de niche plus intéressant. Mais aussi en raison de la nature même du terrain et de son architecture : un sol très acide où les fruits rouges comme les myrtilles ou les canneberges s’épanouissent et l’existence préalable de grands arbres que nous avons souhaité conserver », explique Ivo pour qui l’agriculture en général – et l’arboriculture en particulier – est une reconversion relativement tardive, même si les travaux des champs ont bercé son enfance. « Je suis né en effet en Espagne, dans un petit village de 300 habitants de la province du León. C’était un peu l’image d’Épinal de l’agriculture à l’ancienne. Un seul tracteur et tout le monde qui faisait les foins ensemble. Comme les autres mômes, je participais aux tâches agricoles. Et puis, à l’âge de 10-11 ans ma famille s’est installée en France, dans une cité dortoir en banlieue parisienne. »
Le choc est brutal. Ivo cherche sa voie. Après des études de lettres et parce qu’il s’ennuie très vite, il multiplie les contrats d’intérim, dans l’industrie pharmaceutique, la banque, l’assurance… mais vit déjà « à la campagne par choix ». La rencontre avec Aisling est à l’origine d’un nouveau tournant. Lui est alors chef de projet dans les jeux vidéo, elle travaille dans la communication. Tous les deux aspirent à un mode de vie au grand air.
Entre forêt et verger
« Là où nous habitions, nous avions 1 000 m² de terrain avec un jardin et un potager. Mais on se sentait à l’étroit. J’avais envie d’un endroit à mi-chemin entre le verger et la forêt. Plus dans un objectif de résilience et d’agrément qu’autre chose. D’ailleurs quand on a trouvé ce terrain à Abbaretz, on s’est dit qu’il n’était pas adapté pour en faire une exploitation agricole. Il y avait juste un petit bois créé avec la terre retirée pour creuser la voie ferrée qui longe le terrain. Les arbres se sont installés en friche au XIXe siècle. Autour, ce sont des champs. » La crise sanitaire et la maladie de leur fils, longuement hospitalisé, vont cependant changer la donne. Obligé d’arrêter de travailler pendant plusieurs mois, Ivo se rend compte qu’il a envie de faire autre chose. Il se lance en octobre 2019 dans un Brevet professionnel de responsable d’entreprise agricole en arboriculture (BPREA). Un an plus tard, il crée son exploitation.
« Le BPREA m’a appris beaucoup de choses. En particulier que l’agroforesterie et la protection de l’écosystème permettent d’avoir un verger très résiliant, qui subit moins les aléas climatiques. Le Verger de la Ronce est aussi le résultat de plusieurs années de lecture, de visionnage de vidéos et de rencontres avec des pépiniéristes. D’ailleurs, les choses continuent à évoluer. En fonction de ce qui marche ou ne marche pas. En fonction de la demande aussi. Au départ par exemple, je ne voulais pas faire de framboises. Le fruit est compliqué à récolter et à stocker. Finalement, parce que les framboises plaisent aux gens, nous avons planté plus de 500 framboisiers. Il y a aussi ceux qui s’inscrivent dans une démarche vertueuse et cherchent des producteurs qui ont le même état d’esprit. La pâtisserie nantaise Esthète a par exemple créé un gâteau avec du combava qui venait de chez nous », apprécie Ivo.
En bannissant totalement les pesticides et les intrants chimiques, en utilisant exclusivement des préparations à base de plantes ou en préférant le paillage hivernal avec du bois plutôt qu’avec du plastique, l’arboriculteur a fait un choix fort qui impacte néanmoins les coûts de production, et donc les prix de vente. Glaciers et pâtissiers « Mais nous avons toujours souhaité nous adresser à une clientèle de professionnels, restaurateurs, pâtissiers, glaciers, épiceries bio. Pas aux particuliers », reprend Ivo. Un choix mûrement réfléchi dont les premiers effets se font sentir.
Jeter moins de fruits
Le modèle économique du Verger de la Ronce qui doit permettre aux trois associés de toucher chacun « un poil plus que le Smic d’ici 2024 », est en effet en passe de fonctionner. « Après avoir investi environ 100 000 € et bien que l’exploitation n’ait pas encore atteint sa capacité maximale de production en raison de la jeunesse des arbustes, les premiers retours sont bons. Nous avons récolté nos premières productions l’an dernier. De juin à décembre, nous avons effectué deux livraisons par semaine à Nantes. À terme, plus que le manque de clients, notre problème sera certainement de produire les quantités nécessaires pour les satisfaire », sourit Ivo en se dirigeant vers un bâtiment en construction. « On va y installer notre atelier avec un déshydrateur qui permettra de jeter moins de fruits et de mettre en valeur ceux qui sont moins beaux. » Paroles d’arboriculteurs passionnés !
Le Verger de la Ronce, La Vallée 44170 Abbaretz.