Grâce à lui, la gare reprend vie

Passionné du rail, Jean-Philippe Vanwalleghem, a racheté la gare de Pontivy qu’il a entièrement restaurée.
© Martin Vanden Bossche

La gare de Pontivy aurait dû rejoindre la liste des gares abandonnées. Mais un homme en a décidé autrement. Depuis deux ans, elle accueille à nouveau du public et voit passer des trains touristiques, de marchandises et peut-être, demain, de voyageurs.

Par Mathilde Leleu

Jean-Philippe Vanwalleghem a de quoi sourire. Celui que beaucoup prenaient pour un hurluberlu a fait taire les sceptiques en redonnant vie à la gare de Pontivy, dans le Morbihan. Il y a six ans pourtant, c’est un bâtiment délabré et vide qu’il rachetait à la SNCF. Grâce à lui, l’édifice accueille, dans un joyeux méli-mélo, clients SNCF, voyageurs, locataires et curieux. « Je suis un peu fou », confesse-t-il volontiers.

Mai 2017. Jean-Philippe, 55 ans, vient de céder sa société d’import d’équipements de cuisine, après 25 ans passés à son compte. Pour tuer le temps qu’il a tout à coup en abondance, cet amoureux des chemins de fer écume les petites gares qu’il photographie et tous les salons qui touchent de près ou de loin à l’univers ferroviaire. Lors de l’un d’eux, un ami évoque une gare du centre Bretagne qui vient d’être mise en vente. Son sang ne fait qu’un tour. « J’étais scandalisé. Et si ce patrimoine était rasé ? Il fallait faire quelque chose. » Dans l’heure, l’homme appelle sa femme pour lui suggérer de racheter la gare, vendue 70 000 €. L’accueil est d’abord tiède. Il est rapidement suivi d’un SMS laconique : « Chiche ! » Un mot, et voilà Jean-Philippe catapulté sur les rails de ce qui deviendra le projet de sa vie.

Le ronflement des locomotives

Les tractations avec la SNCF durent deux années durant lesquelles, incapable de tenir en place, le sémillant nordiste se fait faire incognito un double des clefs. Jean-Philippe s’offre alors quelques soirées en solitaire dans la gare abandonnée. Dans l’ancienne cantine des cheminots, il huile ses habitudes, allume un petit chauffage d’appoint, avale sa gamelle en écoutant France Inter puis s’endort sur son lit de camp, bercé par des ronflements de locomotive que lui seul perçoit dans le silence des murs.

Doucement, son projet s’ébauche. Quand en janvier 2019, Jean-Philippe signe l’acte d’achat, il a déjà son permis de construire dans la poche. Les travaux de rénovation démarrent dans la foulée. Le bâtiment est désamianté, la couverture et les huisseries entièrement refaites. La vieille dame de 150 ans retrouve au fil des mois des airs de demoiselle. La rumeur des travaux se répand plus vite qu’un train à grande vitesse. L’imprononçable nom du nouveau maître des lieux agite toutes les lèvres. Les regards qui se posent sur ce joyeux drille affublé d’un costume cendré, d’une sacoche en bandoulière et d’une casquette de chef de gare, deviennent plus appuyés. « Au début, ni les habitants ni les élus locaux ne me prenaient au sérieux. D’ailleurs je faisais un peu le con, j’allais dans les bistrots pour incarner mon personnage de cheminot, glisse-t-il l’œil fripon. C’était ma manière à moi de commencer à réhabiliter cette gare trop longtemps effacée des mémoires. »

Quatre logements et un guichet

De désaffectée, la gare pontivyenne redevient un lieu de passage et de vie. Une salle d’attente et des toilettes accueillent à nouveau les voyageurs des dizaines de cars qui y transitent chaque jour pour rejoindre Vannes, Lorient ou Rennes. Fin 2022, les élus locaux ont accepté de rapatrier le guichet SNCF installé à l’office de tourisme. Un magasin de modélisme ferroviaire s’est aussi implanté. Plusieurs familles occupent les quatre duplex aménagés à l’étage. Leur mise en location devrait rembourser les 400 000 € empruntés pour le chantier. Les économies personnelles de Jean-Philippe Vanwalleghem ont financé le reste. « Il faut avoir du fric pour monter ce genre de projet. C’était mon cas alors je l’ai fait », dit-il simplement. Ne reste plus que la façade en tuffeau et en briques à ravaler pour achever ce projet à plus d’1,2 million d’euros.

Plusieurs fois par mois, Jean-Philippe quitte Angers où il réside pour visiter sa gare. Il gare son camping-car sur l’un des quais déserts. L’auto-proclamé chef de gare s’affaire alors. Il astique des lanternes et combinés d’un autre âge, remplit des registres, débroussaille. Toujours dans un courant d’air, il gambille d’une pièce à l’autre en sifflotant. Son bonheur est manifeste. Il est loin le p’tit gars d’Halluin (Nord) qui regardait raser la gare de son enfance en pleurant. L’enfant est encore là, mais il tient sa revanche. « Ce moment a été fondateur pour moi. Maintenant je suis apaisé d’avoir sauvé de la ruine cette gare. Si je devais partir, tout cela continuerait d’exister sans moi. »

En 1987, les trains de voyageurs ont disparu à Pontivy, laissant la voie libre au transport de marchandises. Mais grâce à l’association Chemins de fer du centre Bretagne, un train touristique quitte depuis 2021 la gare pour faire découvrir la vallée du Blavet. Le premier été, 10 000 voyageurs ont embarqué. Alors, pourquoi ne pas rêver au retour des trains de voyageurs ? À cette idée, l’œil de Jean-Philippe s’allume : « En tout cas ici, tout est prêt ! » Il est permis d’y croire. Il paraît qu’à Pontivy, les projets les plus fous deviennent parfois réalité.