
© Clément Osé
Avec Les Marchands de soleil, Clément Osé, écrivain, et Sylvie Bitterlin, figure de la lutte contre les projets solaires sur la montagne de Lure (Alpes-de-Haute-Provence), livrent un texte critique qui porte un regard sans concession sur le photovoltaïque. Entre récit et enquête journalistique, cet ouvrage s’interroge plus largement sur les blessures qu’on inflige à la planète au nom de la transition écologique.
Par Axel Puig
C’est un matin presque comme un autre de 2022. Chez Sylvie Bitterlin, dans les Alpes-de-Haute-Provence, le téléphone sonne peu de temps après le réveil. Au bout du fil, une amie membre de l’association Montagne verte : « Ils ont commencé à six heures et demie, on les entend depuis le village. Je ne sais pas ce qu’on peut faire… »
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« Ils », ce sont les bûcherons mandatés par la société Dolarex (NDLR : nom très légèrement déformé par les auteurs) qui entend bâtir un parc photovoltaïque sur la montagne de Lure, longue dorsale calcaire qui s’étire à près de 18000 mètres d’altitude. « La pétition contre le chantier de Mandres a recueilli 19000 signatures, des articles sont parus, des recours en justice ont été déposés, et pourtant les arbres tombent », écrit Sylvie Bitterlin.
Passé le temps de la sidération, la sexagénaire, professeure de théâtre, entre en lutte. Elle ne peut se résoudre à voir couper des milliers d’arbres, à voir disparaître de son environnement l’Alexanor, le Circaète Jean-le-Blanc ou le lézard ocellé.

Les Marchands de soleil raconte cette lutte, les actions de blocage pour ralentir le chantier, les recours juridiques, les formations dispensées par des activistes d’Extinction Rébellion, le jeu du chat et de la souris qui s’engage avec les forces de l’ordre et les vigiles, les interpellations, les procès, les divisions et les intimidations aussi.
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Mais au-delà, ce récit pose un regard neuf et sans ambages sur la question du photovoltaïque. L‘auteur Clément Osé débarque sur la montagne de Lure avec un point de vue distancié. Il est écolo, a priori plutôt favorable à l’énergie solaire. Très vite, l’absurde lui saute aux yeux : quelle transition écologique impose de raser des arbres, de briser la roche pour y mettre à la place des panneaux photovoltaïques dont les pieux en acier s’enfoncent dans le sol ? À Mandres, le projet est industriel, réalisé par une entreprise privée qui en tirera profit. Mais ailleurs, est-ce que les énergies renouvelables justifient d’artificialiser des espaces naturels ? « Ces projets industriels sont réalisés au nom de l’intérêt public majeur. Mais aujourd’hui, l’intérêt public majeur n’est pas de développer aveuglément des énergies soi-disant renouvelables, il est de défendre les derniers espaces naturels pour assurer les conditions nécessaires à votre vie et à la mienne », plaide l’avocat lors du procès de Sylvie Bitterlin.
Car l’engagement de Sylvie et le travail d’enquête de Clément ne s’arrêtent pas aux pentes de la montagne de Lure. Clément promène son carnet dans un congrès rassemblant les lobbys de cette industrie, il épluche et pose un regard critique sur la loi Aper (Loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables) ou l’industrie minière. Au final, les Marchands de soleil questionne notre société et sa soif inextinguible d’énergie, fut-elle « renouvelable ».
Comment est née l’idée d’écrire à quatre mains ?
Clément Osé : J’ai rencontré Sylvie lors d’un stage de théâtre qu’elle organisait chez elle, au pied de la montagne de Lure. Nous avons gardé contact et quelques temps plus tard, lorsqu’elle m’a envoyé des vidéos de la lutte, je suis venu faire plusieurs reportages. Dans ce livre, il y a deux personnages. La femme, Sylvie, est dans l’action. Elle a la légitimité du terrain. Je suis l’autre, le reporter, l’enquêteur, la personne à qui le lecteur peut s’identifier. Je suis celui qui va le raccrocher à cette réalité qui peut parfois paraître lointaine, qui va apporter des éléments scientifiques, des clés de compréhension, des nuances parfois.
Le livre mêle aussi fiction et réalité. Pourquoi ?
C’est un livre très inspiré du réel, presque un essai parfois. Des noms ont été changés par pudeur. Certains personnages comme le gendarme qui emmène Sylvie au tribunal de Digne, le procureur ou la juge sont fictifs. Cela permet d’adopter une démarche d’empathie, c’est-à-dire de se mettre à la place de l’autre pour comprendre comment se construisent les opinions. Pour certaines parties du livre, je me suis aussi inspiré d’autres luttes auxquelles j’ai participé comme celles contre les méga-bassines ou l’autoroute A69 (NDLR : de Toulouse à Castres). À la fin, nous nous sommes même offerts le petit plaisir d’une victoire…
« Au nom de quelle « écologie » peut-on raser des habitats et éradiquer des espèces animales ? »
Du récit de la lutte d’un collectif d’habitants contre un parc photovoltaïque, le livre bascule très vite vers un questionnement relatif à la pertinence de tels projets industriels, puis sur la manière dont on conçoit aujourd’hui la transition écologique.
Nous partons en effet d’un exemple frappant, celui de raser une forêt pour y installer des panneaux photovoltaïques. Mais nous ne voulions nous en tenir ni à un récit de lutte ni à un débat techno. Nous essayons de tout aborder, y compris la question de la beauté.
Quelle transition écologique justifie d’abattre des hectares de forêt ? Au nom de quel « progrès » peut-on raser des habitats et éradiquer des espèces animales ? Quelle culture mène à ça ? Ces énergies sont-elles vertes ? Est-ce que la société que l’on cherche à préserver est juste ? Nous voulions soulever toutes ces questions.
Vous en venez même à questionner la pertinence des centrales villageoises et plus largement le photovoltaïque qui nécessite une exploitation minière excessivement polluante et humainement désastreuse.
Dans ce type de projets, la répartition du capital est certes plus intéressante, mais c’est un entre-deux qui n’est pas satisfaisant puisqu’il nécessite d’ouvrir des mines et parfois de s’installer sur des espaces naturels. J’ai l’impression que l’on essaye de trouver des solutions miracles pour éviter de questionner notre mode de vie, un peu comme lorsque l’on pense que la voiture électrique est une option. Pour Sylvie et moi, la vraie solution est de tendre vers une économie de subsistance, d’apprendre à vivre avec moins d’énergie.
Dans ce livre, nous avons la volonté de parler au monde écolo et militant. Quelle est notre place ? Prêcher pour des centrales villageoises « moins pires » n’est-ce pas une forme de mal-adaptation ? Au fond, nous sommes persuadés que notre rôle est plutôt de préserver les espaces naturels, de se battre contre toute forme d’artificialisation. Quand on s’en tient à cette défense de la nature, il y a moins de risques de s’engager pour une mauvaise cause.
Où en sont les projets photovoltaïques industriels sur la montagne de Lure ? Sylvie Bitterlin poursuit-elle la lutte ?
Des projets de parcs photovoltaïques sortent tous les mois. Les mairies et les agriculteurs sont sans cesse sollicités. Sur la montagne de Lure, il y a eu quelques bonnes nouvelles et une victoire juridique puisque le tribunal administratif de Marseille a jugé illégal le parc solaire de Cruis. Plusieurs projets ont été annulés. Dans d’autres endroits de la montagne de Lure des centrales ont été construites, mais les opposants ont adressé un message aux industriels : « vous n’êtes pas en terrain conquis ! ». Quant à Sylvie, elle continue la lutte. Elle y passe une grande partie de son temps, elle participe à des réunions pour trouver des solutions et mène encore des actions de terrain. À partir de mars, tous les deux, nous allons également faire une tournée des collectifs d’habitants qui s’opposent à des projets agrivoltaïques ou à l’installation d’énergies renouvelables en milieu naturel.
Aller plus loin
Clément Osé est écrivain, auteur de trois récits parus chez Tana éditions. Dans De la neige pour Suzanne, il raconte son installation et son expérience de trois ans au sein d’une ferme collective en construction. Dans Plutôt nourrir, il dialogue avec une ancienne camarade de Sciences Po devenue éleveuse de cochons dans le Gers. Les Marchands de soleil est donc son troisième livre, écrit à quatre mains avec Sylvie Bitterlin.
Les Marchands de soleil, face à la machine photovoltaïque, Clément Osé et Sylvie Bitterlin, éditions Tana, 2024, 348p. 18,90€.