La tentation du refuge est le nouveau livre de Bernard Farinelli. Il propose, grâce son propre vécu, avec sensibilité et clairvoyance, des pistes pour construire une vie plus autonome, simple et fraternelle.
Propos recueillis par Sylvie Le calvez
Pourquoi ce livre dans votre parcours ? À quelle nécessité répond-il ?
J’ai toujours écrit sur la campagne et ses thématiques : néo-ruraux, agriculture, environnement. Et donc sur ses valeurs, supposées universelles. Notre campagne n’est évidemment plus celle d’hier, mais il suffit de regarder ailleurs, de voyager, et on la retrouve. On en voit l’importance pour une survie quotidienne. Une de ces valeurs est l’autonomie, autant domestique, que locale ou politique. Cette question m’obsède. D’où ce livre qui prend toute son importance dans nos temps incertains.
Où avez-vous puisé toute la richesse des propos qui jalonnent cet ouvrage ?
Mon refuge, c’est le bocage bourbonnais, dans l’Allier, qui ressemble à tant d’autres, loin de la mer, de la montagne. En fait, une campagne commune, solitaire, effacée. Je n’ai pas d’autre légitimité que celle d’un citoyen pragmatique qui prend la planète au sérieux, qui, avec d’autres, organise un festival écocitoyen, défend les arbres, agit pour les haies, se bat pour l’économie de proximité, cherche à diminuer son empreinte. Un campagnard qui s’est souvent partagé entre ville et campagne. Un individu qui ne pense pas comme il faut, résiste comme il peut au rouleau compresseur d’une globalisation/concentration/universalisation.
Une autre façon de vivre existe, portée par une aspiration sociétale grandissante.
J’ai eu la chance de beaucoup recevoir… et le défaut de progresser lentement, ce qui a autorisé la maturation des réflexions de l’ouvrage. Un témoin qui, s’il pouvait contribuer à un mieux-être, en serait heureux. Un humain qui ne consent plus. Un système détruit la planète. Une autre façon de vivre existe, portée par une aspiration sociétale grandissante. Je ne mène pas la vie contemplative décrite par Thoreau, mais une existence campagnarde, paysanne au sens d’une immersion locale qui se veut pleine et respectueuse. Je vis le présent tout simplement, une pratique tout autant métaphysique, qu’écologique et économique. Ce que j’ai modestement appris (et avec difficulté), bien d’autres peuvent le réaliser.
La campagne en tant que refuge résonne tout particulièrement en ces temps de pandémie et de crise ukrainienne. Est-ce une réalité ou n’est-ce qu’illusion ?
Évidemment avoir son bout de campagne où se réfugier est idéal. Mais pour moi, cela passe surtout par la possibilité d’être autonome en termes d’alimentation, donc avoir accès à un jardin, un verger, une basse-cour… La campagne pas chère existe. Dans l’Allier, on peut trouver un chez soi, un petit foncier pour 50 000 €, bien sûr avec des travaux. La notion de mobilité change entre télétravail, prix du pétrole, perte de temps. Elle induit une réflexion sur le travail. Lequel est présent ou possible y compris dans les espaces peu habités. Donc ce n’est pas illusoire. Par contre, j’ai toujours pensé que la grande difficulté était le temps de l’adolescence, où l’on rêve plutôt de la ville.
N’y a-t-il pas un risque de repli sur soi ? Comment l’éviter ?
Le problème n’est pas l’isolement, mais la solitude. Il faut en avoir l’expérience pour comprendre. Gagner son refuge n’empêche pas d’emporter avec soi son « sac à dos » de soucis passés ou présents. Donc si possible ne pas partir seul, pour oublier. Surtout rechercher les solidarités en arrivant, et elles existent partout. Je cite souvent ce proverbe algérien, qui résume le problème, « Une main toute seule ne peut pas applaudir ».
La tentation du refuge, Le temps des cigales est révolu
Nous avons tous besoin d’un récit pour nous conforter dans nos choix ou nos envies… En quelques pages, Bernard Farinelli donne un substrat philosophique et culturel à ceux qui ont déjà leur refuge et fait gagner du temps à ceux qui l’envisagent. Faisant référence, en sous-titre, à la fable de La Fontaine, l’auteur en appelle à un changement nécessaire et vital « pour faire face au grand défi de l’humanité ! ».
EXTRAIT : Jean avait hérité de bois. Je l’accompagnais, et avant qu’il n’achète sa tronçonneuse, qu’il entretiendrait avec passion, nous avons joué de la hache pour entailler l’épicéa, puis du passe-partout (chacun tirant à son tour vers lui la longue lame dentée). (…) Jean n’hésitait pas. Ni pour la maçonnerie, certes basique (et pas forcément esthétique), ni pour aiguiser les outils, ni pour faire du jus de pomme (qu’il appelait cidre), ni pour réparer son tracteur Someca, sexagénaire toujours aussi vaillant aujourd’hui. Certains jours, on tuait le lapin ou le canard. Je regardais cette mort qui se débattait et que j’étais bien incapable de donner, avec respect, sans sentimentalisme, même si je n’ai pu goûter au canard qui dans un soubresaut m’échappa et prit son envol le cou coupé ! Comme c’était un enfant du coin, Jean rendait service dans le village voisin. Coups de main et trocs paysans faisaient partie de son quotidien. Le jardin tenait toute sa place. Lorsque la cheminée allumée avec du genêt à l’aigre parfum grésillait et que les châtaignes grillaient dans la poêle trouée à cet effet, moi l’étudiant en lettres, j’avais un héros de Giono en face de moi, grand lecteur aussi, qui aimait écouter mes rêves…
Nos grands-parents et arrière-grands-parents étaient autonomes et solides. Le rapport à la débrouille, au bricolage, au faire soi-même était partagé par une civilisation au sein de laquelle les ruraux et les ouvriers constituaient la part démographique dominante. Cette société avait survécu aux guerres et aux crises. Elle avait encore les pieds sur terre. Elle proposait comme enseignement obligatoire son atelier paysan où l’on savait s’occuper des animaux de la ferme, harnacher et conduire les animaux de traits, alambiquer, élever des abeilles, faire le vin ou la bière, jardiner, confectionner tout ce qui fait ventre… Évidemment Jean n’est plus là. Mais il m’a guidé.”
Éditions Libre et solidaire, en librairie le 9 juin 2022. 240 pages, 16 €.
Un article paru dans le magazine Village n°152, du printemps 2022. Abonnez-vous ou commandez-le en ligne.