Le combat gagné des paludiers

Un paludier en action, vue de haut.
Les anciens ont su préserver et transmettre un savoir-faire millénaire.

Crédit : Mille et Une Films

Lors du dernier festival Caméras des champs, des lecteurs et la rédaction de Village ont plébiscité Un peu de la beauté du monde, un documentaire réalisé par Sophie Averty. Lauréat du prix Village, il raconte comment, dans les années 70, des paludiers de Guérande et quelques soixante-huitards utopistes ont sauvé les marais salants et créé une coopérative pour vivre décemment du sel. Cinquante ans plus tard, ils ont transmis le flambeau à une génération qui s’engage pour sauver ce site classé.

Par Sylvie Le Calvez

Tout le monde connaît la lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou celle, des années plus tôt, du Larzac contre l’implantation d’un camp militaire. Mais celle des paludiers des marais de Guérande ? Personne, ou presque.

En 1992, Sophie Averty est journaliste pigiste. Elle vit à Indre, petite commune à quelques encablures de Nantes, et décide de consacrer son premier documentaire en tant que réalisatrice à un paludier-conteur. C’est là qu’elle découvre une part de l’activité des marais et la désertion d’un métier dont on peinait à vivre. Joseph, son personnage, ne lui dit rien des années de lutte pour sauver les marais au milieu des années 70. Près de trente ans plus tard, Sophie réalise donc ce documentaire, Un peu de la beauté du monde, pour conter cette histoire oubliée.

Du doute à la fierté

Son film débute en 1968, année où Charles, maître d’internat, découvre le marais lors de promenades. Étudiant en sociologie, il voit disparaître sous ses yeux un savoir-faire vieux de presque 2 000 ans. Les vasières, les digues ne sont plus entretenues. Il décide de s’investir et de reprendre des œillets, ces petits bassins rectangulaires où l’on récolte le sel grâce à l’évaporation.

Les paludiers qui sont encore en place ont du mal à survivre. Même avec une centaine d’œillets la rémunération reste insuffisante et les anciens incitent leurs enfants à ne pas prendre la relève. D’autres jeunes à cheveux longs arrivent, comme Alain qui, après avoir élevé des chèvres en Aveyron, pose ici ses valises.

Les anciens, qui voient ces nouveaux venus reprendre le flambeau, passent du doute à la fierté de transmettre leur héritage.

En 1972, est créé un groupement de producteurs de sel. Certains paludiers lancent une formation pour transmettre le métier. Le savoir-faire est sauvé in extremis. Les anciens, qui voient ces nouveaux venus reprendre le flambeau, passent du doute à la fierté de transmettre leur héritage.

Encore aujourd’hui, que ce soit à Guérande ou dans d’autres marais salants de la côte atlantique, des paludiers sont formés pour compenser les départs en retraite. Il faut ainsi parfois attendre trois ans avant de pouvoir suivre cette formation qui dure dix mois. Jusqu’au début des années 90, le sel est vendu aux Salins du Midi qui sont, en même temps que négociants, producteurs de sel industriel en Méditerranée. Autant dire qu’ils achètent à prix très bas, en vrac, le sel de Guérande.

L’aventure coopérative

Les paludiers guérandais dont le nombre à cette époque ne cessent de décroître (7 700 en 1986 à 5 200 en 1992) décident de créer leur propre coopérative et de conditionner eux-mêmes le sel. Certains quittent les Salins du Midi et commercialisent directement auprès des points de vente. D’autres s’inquiètent, et préfèrent rester dans le giron des Salins du Midi. Mais, au final, le pari se révèle gagnant pour ceux qui ont osé. Depuis les années 70, les épreuves ont été surmontées collectivement les unes après les autres.

Une ZAD avant l’heure

Entre 1968 et 1978 d’abord, une longue bagarre s’engage contre le projet de rocade autour de La Baule. Menacés, les marais salants deviennent une ZAD avant l’heure. Après moult manifestations et recours devant le Conseil d’État et le tribunal administratif, la victoire est au rendez-vous et le marais épargné. Le 12 décembre 1999 ensuite, le pétrolier Erika se casse en deux. Là encore, grâce à la mobilisation de tous, le marais est une nouvelle fois sauvé. Puis, fin février 2010, c’est la tempête Xynthia qui fragilise ce petit bijou paysager façonné par l’homme.

350 petites exploitations

Depuis, les paludiers aux profils variés, certains issus du milieu, d’autres venus d’ailleurs, mutualisent leur compétence pour anticiper le réchauffement climatique et la possible montée des eaux. « Bien sûr, il y a des tensions, on est 350 petites exploitations collées les unes aux autres, mais sans le collectif tout deviendrait plus fragile », affirme Charlotte, l’actuelle présidente de la coopérative. Tous espèrent que la relève conservera cet état d’esprit. La clé de la survie et de la beauté des marais relatées par Sophie Averty est sans doute là.

Un peu de la beauté du monde, produit par Mille et Une Films, avec la participation de France télévisions et les chaînes locales de Bretagne. Disponible en VOD. Ou en salles à l’occasion du Mois du documentaire (novembre). www.mille-et-une-films.fr